L’art d’avoir toujours raison

Depuis 1891, le cynique se délecte de l’Art d’avoir toujours raison d’un Schopenhauer qui n’a jamais eu raison contre Friedrich Hegel, qu’il haïssait, et dont on n’a guère retenu que son bréviaire sophistique à l’usage de politiciens pressés. Schopenhauer enseigne des techniques et procédés censés permettre de l’emporter dans un débat; procédé qui tous, en dernière analyse, relèvent de la force, du mensonge ou de la mascarade. Singulier hommage à la raison!
Schopenhauer

L’art d’avoir toujours raison

L’argument de Schopenhauer est un cri construit, consistant par essence à parler plus haut et fort que son adversaire, au besoin l’insultant. Cet argument est typique de cette approche qui, croyant préserver la pureté philosophique en dégradant cyniquement la sophistique, abîme la philosophie en la réduisant à une caricature aussi pure qu’irréelle, et dénature la gymnastique argumentative en simple modalité de l’injure. Curieuse conception de l’art d’avoir toujours « raison » !

Aristote

S’oppose à Schopenhauer, l’approche d’Aristote. Aristote fait droit aux registres non rationnel de l’argumentation, tout en reconnaissant le primat qualitatif de la raison.

Cher Aristote ! Voici un philosophe qui, confortablement lové dans le creux du quatrième siècle avant Jésus-Christ, quand il ne couve pas en son sein Alexandre, plus grand conquérant de son temps, épuise la plupart des sujets qu’il aborde. 

La divergence épistémologique entre Aristote et Platon, son maître, est que si Platon raisonnait a priori,  sans considérer la réalité empirique, et la méprisant; Aristote ne parlait jamais d’un sujet avant d’en avoir étudié les incarnations réelles.

La République de Platon est née des fulgurances de son esprit; les Politiques d’Aristote perlent de la considération attentive et préalable des constitutions réelles de cent cinquante-huit cités grecques.

« Ethos — logos — pathos »

L’art d’avoir toujours raison ? L’intemporalité aristotélicienne se vérifie dans le champ de la rhétorique. Tellement que le triptyque aristotélicien « Ethos — logos — pathos » en est la vulgate durant toute l’Antiquité; comme une référence obligée.

Interrogeons-nous sur l’articulation des trois aspects de la relation de persuasion. 

 D’évidence, leur relation est dynamique, aussi vrai qu’un argument peut s’adresser à la fois à la raison et aux émotions de notre interlocuteur ; et que la force rationnelle d’un argument paraîtra d’autant plus grande qu’elle émane d’une autorité reconnue.

La raison d’Aristote, ou la violence de Schopenhauer?

 L’un de ces registres occupe-t-il une position de surplomb vis-à-vis des deux autres ?

Les esprits théoriques et orgueilleux de la raison — comme le sont de nombreux scientifiques — sont tentés de reconnaître immédiatement le primat de la raison. Eh, quoi ! Sommes-nous des êtres d’instinct ? Ne sommes-nous pas d’abord et avant tout des êtres de raison ? Est-ce par l’appel aux sentiments qu’Einstein a triomphé de ses contradicteurs, ou que s’est imposée la théorie quantique ? Laissons les émotions aux esprits religieux, redevenons sérieux : la Raison domine !

Cette thèse est séduisante et recèle une part de vérité. 

D’un strict point de vue qualitatif, il n’est pas possible de ne pas reconnaître le primat du logos. On ne persuade jamais que de quelque chose ; d’une proposition, dont la formulation revient en effet, entière, au logos. Mobiliser les sentiments et la déférence d’un public, c’est bien ; encore faut-il que nous ayons quelque chose à lui « vendre » ! Ce primat « qualitatif » du logos ne paraît guère contestable.

Mais seul, le logos n’est rien. Les deux autres aspects conditionnent  le caractère audible d’une proposition rationnelle. Ainsi Einstein éprouva-t-il les pires difficultés, non seulement à se faire reconnaître, mais simplement publier, parce que son ethos dans la communauté scientifique était nul — il travaillait à l’Office des brevets de Berne, pas exactement la quintessence d’une institution scientifique internationale ! Son autorité scientifique était inexistante ; vis-à-vis des comités de lecture, il ne représentait rien, ni personne. Or, un argument scientifique qui n’est pas publié n’existe pas.

L’art d’avoir toujours raison

D’un strict point de vue quantitatif — et non plus qualitatif — il semble bien que le logos occupe, en réalité, une position subalterne face à l’ethos et au pathos.

Dans une remarquable synthèse  de la Harvard Business Review, Carmine Gallo montre que « le récit compte en moyenne pour 65 % du discours, le logos pour 25 % et l’ethos pour 10 %. Autrement dit, la formule gagnante (…) est d’emballer une idée géniale dans une histoire. » Très américain, comme formule ; pragmatique, empirique, lapidaire et vrai.

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